Association
culturelle internationale francophone pour le plurilinguisme dans les
organisations internationales (ACIF)
Une assemblée générale est toujours l’occasion d’un bilan. Celle de l’Association culturelle internationale francophone pour le plurilinguisme dans les organisations internationales (ACIF) présente la particularité d’être toujours double en quelque sorte : il s’agit de savoir où en est le plurilinguisme dans les organisations internationales et quelle a été la contribution de l’ACIF au cours de l’année écoulée. Deux vastes domaines pour lesquels j’essaierai d’esquisser ici quelques réponses.
L’ACIF a depuis sa création en 1994 contribué, par ses articles, par ses affiches, par ses activités, à sensibiliser les fonctionnaires internationaux à la nécessité du plurilinguisme dans les organisations internationales. Lorsqu’on emprunte le portail de la Place des Nations pour pénétrer en territoire international, on est accueilli par une pancarte rédigée en deux langues, les langues du Secrétariat de l’ONU : « Please show I.D. / Présenter (sic) votre badge ». On trouve à l’entrée du Palais des Nations, porte 2, un plan, rédigé dans les deux langues ; dans le hall de la presse, le microphone du Service de l’information porte l’étiquette Nations Unies/United Nations ; le panneau d’affichage électronique des réunions déploie aussi un semi-bilinguisme anglais (surtout) et français. On entend dans les couloirs différentes langues, les publicités pour les publications des Nations Unies sont également rédigées dans plusieurs langues. La situation est certes loin d’être idyllique dans le travail quotidien de l’Office des Nations Unies à Genève mais les apparences sont sauves. Certaines marques du bilinguisme sont certes le vestige d’un respect naguère plus rigoureux des statuts mais d’autres sont récentes. Le Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève qui a pris ses fonctions en 2002 est russophone et anglophone ; il apprend le français de 8h à 9h tous les matins et s’est adressé au personnel en anglais mais aussi en français à l’occasion de la journée du personnel de novembre 2002. Les instances de représentation du personnel sont sensibles à la question des langues, rédigent leurs circulaires en anglais et en français et la revue du personnel, UN Special, continue de publier des articles dans les deux langues de travail (le numéro de janvier 2003, par exemple, contient 8 articles en français et 11 en anglais).
Ces preuves de la sensibilité des fonctionnaires
de l’ONUG au maintien de l’équilibre des langues de travail ne doivent certes
pas nous cacher l’importance qu’il y a à responsabiliser davantage toutes les
parties prenantes pour permettre au bilinguisme du Secrétariat et au
plurilinguisme des organisations internationales de s’épanouir. Cette
responsabilisation passe par l’information et la concertation.
1. L’information
Elle comporte trois volets
principaux : l’information
concernant ce qui se fait dans les organisations internationales pour
promouvoir le plurilinguisme ; l’information portant sur les efforts
consentis par les gouvernements et les institutions chargées de sa
défense du plurilinguisme; l’information sur les défenseurs du plurilinguisme
en milieu international.
L’information sur ce qui se fait dans les organisations
internationales pour promouvoir le plurilinguisme ou plutôt le
multilinguisme, selon l’expression utilisée dans les documents des Nations
Unies. Une étape importante a été franchie cette année avec la rédaction par le
Corps commun d’inspection du système des Nations Unies d’un rapport sur la mise
en oeuvre du plurilinguisme au sein des organisations du système des Nations
Unies d'où je tire en grande partie les propositions ci-dessous.
Trois objectifs permettraient
de maintenir, voire de renforcer, le plurilinguisme dans les organisations
internationales du système des Nations Unies :
1. Promouvoir la
visibilité des langues dans le travail quotidien des organisations
internationales :
i) trouver des moyens de
maintenir le plurilinguisme même dans les cas où les budgets ou les délais
sembleraient ne pas le permettre : au cas où aucun service d'interprétation ne
serait prévu lors d'une réunion informelle d'États membres ou d'experts, prier
les participants de bien vouloir présenter à l'avance un résumé de leur
intervention qui sera traduit dans toutes les langues de la réunion ; si un
document d'un organe législatif ne peut paraître dans toutes les langues dans
les délais prescrits, les secrétariats peuvent, à titre exceptionnel, soumettre
ce document sous forme abrégée ou sous forme de résumé dans toutes les langues
et dans les délais prévus ;
ii) obtenir une image
plus exacte du potentiel linguistique des organisations internationales : les
Secrétariats devraient fournir un rapport détaillé sur l'emploi des langues en
leur sein et être redevables des efforts qu'ils ont consentis pour créer un
environnement favorable au traitement paritaire des langues ; ils devraient
établir une répartition des postes sur la base des exigences linguistiques qui
s'y attachent et inclure ces informations dans les rapports périodiques soumis
aux organes directeurs sur la gestion des ressources humaines ou sur la
composition du Secrétariat ;
iii) encourager les
fonctionnaires des organisations internationales à utiliser davantage les
différentes langues qu'ils maîtrisent dans leur travail de tous les jours ;
iv) fixer dans les
projets de programmes et budgets des objectifs clairs à atteindre pour
renforcer le plurilinguisme (publications, sites sur l'internet dans toutes les
langues des organisations internationales) et préciser les moyens pour y
parvenir (possibilités de partenariats, sources de financement
extra-budgétaires, etc.);
v) mettre à la
disposition de tous les bases de données terminologiques et les outils
facilitant la consultation plurilingue
de la documentation internationale disponibles au sein des services
linguistiques des organisations internationales.
2. Renforcer
l'efficacité des organisations internationales en matière de respect du
plurilinguisme :
i) mieux répondre aux
attentes et aux besoins de plurilinguisme de la part des participants aux
conférences internationales : les organisateurs de réunions d'experts devraient
plus systématiquement tenir compte de la composition linguistique de
l'auditoire visé pour accroître l'efficacité des réunions qu'ils mettent sur
pied ;
ii) revoir les demandes
de documentation plurilingue déposées par les États membres: il serait en effet
souhaitable de mieux prendre en compte les ressources allouées à la préparation
de cette documentation en plusieurs langues ainsi que les efforts consentis par
les Secrétariats pour limiter le volume de la documentation et respecter les
délais ;
iii) permettre aux
différentes composantes de la société dans chaque État membre de participer aux
activités des organisations internationales et de créer des partenariats avec
celles-ci : une étude des besoins de toutes les parties prenantes permettrait
de mieux évaluer dans quelle mesure les ONG, les médias et la société civile
sont satisfaits des services fournis par les organisations internationales dans
les différentes langues de ces organisations, et notamment en ce qui concerne
les réunions et la diffusion d'informations.
3. Aider les organisations
internationales à mieux relever les défis du plurilinguisme :
i) permettre à leur
personnel linguistique de participer aux stages de mise à niveau ouverts aux
membres de la fonction publique nationale dans les domaines de pointe ;
ii) sensibiliser les
universités et autres centres de formation des traducteurs et des interprètes
aux besoins spécifiques des services linguistiques des organisations
internationales, car ces derniers éprouvent de grandes difficultés à trouver du
personnel compétent sur le marché du travail désireux de travailler dans les
organisations internationales. Dans ce contexte un membre de l’ACIF relève
qu’il faudrait encourager les professions de traduction dans les pays
francophones du Sud afin de réduire les coûts de la traduction et traduire plus
de documents.
iii) mettre à la
disposition des organisations internationales les bases de données
terminologiques et documentaires disponibles dans les administrations
françaises mais non rendues publiques via l'internet.
Le rapport met l’accent
sur le rôle des administrations et des donneurs d’ordre (les États membres)
dans la défense du multilinguisme dans les organisations internationales, mais
chaque fonctionnaire peut à sa lecture prendre conscience de la complexité et
de l’interdépendance des questions que soulève le fonctionnement véritablement
multilingue de son organisation ainsi que de sa part de responsabilité pour la
bonne marche du dispositif.
L’information des défenseurs du plurilinguisme passe également
par une information sur les efforts consentis en faveur du plurilinguisme à
l’extérieur des organisations internationales. La circulaire du Premier
Ministre, Jean-Pierre Raffarin, en date du 14 février 2003, qui vient de vous
être distribuée rappelle aux ministres et aux secrétaires d’État du
gouvernement français la nécessité d’affirmer la place du français sur la scène
internationale. Voilà qui peut rassurer les observateurs francophones qui
considéraient, peut-être à juste titre, que les représentants les plus éminents
de la France ne respectent pas le statut de langue officielle et de langue de
travail du français dans les organisations internationales. Le doute n’est plus
permis sur le sujet. La France ne déserte pas le français. L’Ambassadeur de
l’Organisation internationale de la francophonie auprès de l’Office des Nations
Unies et des institutions spécialisées à Genève, qui nous fait l’honneur d’être
parmi nous ce soir, nous entretiendra par ailleurs des efforts consentis par
les pays francophones au maintien de la diversité linguistique dans le monde en
général et dans les organisations internationales en particulier (cf. par
exemple, le plan d’urgence en faveur du français dans les organisations
internationales).
L’information
sur les défenseurs du plurilinguisme en milieu international. Il importe en
effet de leur faire savoir qu’ils ne sont pas seuls à défendre la cause du
plurilinguisme au sein des organisations internationales. En effet,
l’Association des fonctionnaires espagnols défend également la place de la
langue espagnole au sein des organisations internationales. Elle a été à
l’origine de la prise de conscience qui a permis notamment l’envoi en juillet
2001d’une lettre au Secrétaire général des Nations Unies signée par une
vingtaine d’ambassadeurs de pays hispanophones, lui demandant de mettre un
terme au déséquilibre linguistique qui sévissait dans son Organisation. Une
rencontre avec les responsables de cette Association est prévue avec son
président, M. Juan Antonio Rubio, du CERN, pour permettre aux membres de l’ACIF
de mieux connaître cette action. L’Association des fonctionnaires
internationaux français (AFIF) suit également les questions de l’emploi du
français dans les organisations internationales et m’a chargée d’être son
porte-parole lors de la réunion du Comité des fonctionnaires internationaux qui
s’est réunie à Paris en novembre 2002 et où j’ai pu rencontrer les
représentants de la douzaine d’associations de fonctionnaires internationaux
français dans le monde et notamment auprès des institutions européennes, tous
soucieux du maintien du plurilinguisme au sein des organisations
internationales dans lesquelles ils travaillent. C’est à l’occasion de la
réunion sur le français du Comité des fonctionnaires internationaux qu’il est
possible aux associations de fonctionnaires de relayer leurs préoccupations en
matière de langue française. Celle par exemple que nous signale un de nos
membres, fonctionnaire au BIT, qui relève que les traducteurs n’ont pas à leur
disposition les traductions officielles de mots et expressions aussi courants
que « e-government », qui en l’absence d’instructions claires est
laissé à l’initiative de chacun. On peut donc trouver
« e-gouvernement », ce qui n’est pas jugé heureux, tout comme « cybergouvernement ».
Plus
récemment, en janvier 2003, a été créée au sein du Bureau international du
Travail l’Association
FRANCOPHONIE-OIT, dont « le but est de promouvoir le rayonnement de la
francophonie au sein de l’Organisation internationale du Travail conformément
aux principes suivants :
a) La promotion de la francophonie est
définie, pour la poursuite de l’objectif de l’Association, comme le fait de
faciliter la pratique et l’utilisation de la langue française dans les
activités professionnelles et sociales conduites dans le cadre de l’OIT et au
sein du BIT.
b) La promotion de la francophonie ne saurait
se concevoir au détriment d’autres langues et cultures. L’Association entend
donc également contribuer à la diversité culturelle et linguistique qui doit
caractériser le fonctionnement des organisations internationales.
c) La promotion de la francophonie
s’intéresse à l’ensemble des moyens et formes de communication, orale et
écrite, permettant la conduite d’activités professionnelles et sociales dans le
cadre de l’OIT et au sein du BIT, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite,
quel que soit le support utilisé pour cette communication.
d) La promotion de la francophonie
requiert pour être efficacement mise en
œuvre que soient mobilisés les volontés et les moyens matériels ou humains
nécessaires. L’Association entend donc intervenir, en tant que de besoin,
auprès de celles et ceux pouvant, à titre individuel ou en tant que membre d’un
collectif, aider à mobiliser ces
volontés et ces moyens.
e) La promotion de la francophonie n’est ni
un exercice bureaucratique, ni une approche sectaire. L’Association entend
donc, à la mesure de ses moyens et dans le cadre de la poursuite de son
objectif, organiser ou soutenir des manifestations culturelles, artistiques,
sportives, de loisir … de nature à contribuer à faire mieux connaître et
apprécier la francophonie au sein de l’OIT et dans le cadre du BIT. »
[source : statuts, article 3]
Monsieur Jean-Victor Gruat du BIT,
qui a eu l’amabilité de me faire parvenir ces statuts sera également invité à
venir parler aux membres de l’ACIF pour mettre en place des synergies entre nos
deux associations.
Enfin il convient de rappeler que l’ACIF a un site qui est
accessible à l’adresse suivante : http://sitacif.free.fr
et qui contient des informations sur la langue française et les institutions
qui défendent sa place dans le monde.
Je remercie notre
collègue Denis Bloud de continuer à le mettre à jour.
2. La
concertation
Pourquoi la concertation est-elle nécessaire ? Parce qu’il est important de mieux connaître les possibilités qu’offre chaque organisation internationale aux fonctionnaires désireux de travailler dans la langue de travail de leur choix. Une anecdote qui m’a été livrée par la correspondante de l ‘ACIF auprès de l’OMS me semble révélatrice sur ce point : « je me suis présentée à un examen écrit il n'y a pas longtemps pour lequel on demandait l'anglais ou le français et une bonne connaissance de l'autre langue. Le test comportait 7 questions toutes en anglais. J'ai refusé de faire le test (de toutes façons le poste était déjà prévu pour quelqu'un...) et lorsque je l'ai dit pendant l'entretien on m'a répondu que j'aurai pu répondre en français ! Ce n'était mentionné nulle part et en plus le problème n'est pas là puisque je travaille à 90% en anglais. Je rajouterai que dans le comité de sélection il y avait deux personnes francophones... » Cette expérience, chacun de nous a pu la faire à sa manière. Elle met en lumière deux obstacles au plurilinguisme dans les organisations internationales : (1) l’usage de l’anglais dans le travail quotidien semble aller tellement de soi, que les francophones sont les premiers à s’y laisser prendre ; (2) l’usage de toutes les langues de travail est toléré mais reste souvent dans le non-dit. Il ne faut donc jamais hésiter à demander que la politique linguistique soit explicite pour ne pas être les premières victimes de cet oubli.
La concertation avec les intéressés eux-mêmes : demander l’avis des fonctionnaires eux-mêmes sur ce qu’ils pensent être un moyen d’améliorer la situation concernant l’emploi des langues. La table ronde organisée par le Service de l’information de l’ONUG et l’Organisation internationale de la francophonie au Palais des Nations à l’occasion de la Journée internationale de la francophonie le 20 mars 2002 sur le thème : « Informer et communiquer sur la toile aux Nations Unies : enjeux linguistiques et culturels » a permis de rappeler aux fonctionnaires qui ne le savaient pas qu’il existe une section de terminologie à l’ONUG qui peut répondre aux questions qu’ils se posent en matière de langue française et des langues officielles en général, une des réactions des intervenants ayant été de faire remarquer que la langue française ne possédait pas les mots qui leur étaient nécessaires dans leur travail, ce qui est absolument faux.
En conclusion, plus que jamais l’ACIF garde sa raison d’être. Il nous faut informer les fonctionnaires de leurs droits et les inviter à les exercer aussi souvent que possible. Par exemple, il y a quelques années, l’ACIF a signalé aux membres de la Section de formation et de perfectionnement du personnel l’anomalie qui consistait à n’offrir des cours d’informatique de base ou de gestion qu’en anglais sans informer le personnel de la possibilité qu’il y aurait à organiser ces mêmes cours en français. En février 2003, la plupart des cours généraux offerts par la Section de formation et de perfectionnement du personnel de l’ONUG le sont en anglais et en français (initiation à Windows, par exemple).
Il nous faut aussi veiller à ce que les fonctionnaires des organisations internationales puissent travailler dans un environnement de travail véritablement bilingue. L’interface du système de courrier électronique Lotus Notes qui est devenue la norme au CERN et à l’ONUG par exemple existe en français mais les services d’achat de ces organisations n’ont, d’après les informations que nous avons obtenues, acheté que l’interface anglaise. Un francophone qui envoie un courriel en français ne peut donc pas faire l’économie de l’anglais puisque son message comportera les indications automatiquement imposées par son système : sender, to, bcc, priority, subject, etc.. Il s’agit là sans doute d’une anomalie du type de celle que nous avons signalé plus haut et que le simple fait peut-être de publier ce rapport dans le journal des fonctionnaires des organisations concernées permettrait de corriger.
Merci de votre attention et de toute l’aide que vous pourrez nous apporter pour permettre de renforcer le plurilinguisme au sein des organisations internationales.