Association culturelle internationale francophone pour le plurilinguisme dans les organisations internationales (ACIF)

 

RAPPORT D’ACTIVITÉ

mars 2002 - février 2003

 

 

            Une assemblée générale est toujours l’occasion d’un bilan. Celle de l’Association culturelle internationale francophone pour le plurilinguisme dans les organisations internationales (ACIF) présente la particularité d’être toujours double en quelque sorte : il s’agit de savoir où en est le plurilinguisme dans les organisations internationales et quelle a été la contribution de l’ACIF au cours de l’année écoulée. Deux vastes domaines pour lesquels j’essaierai d’esquisser ici quelques réponses.

 

            L’ACIF a depuis sa création en 1994 contribué, par ses articles, par ses affiches, par ses activités, à sensibiliser les fonctionnaires internationaux à la nécessité du plurilinguisme dans les organisations internationales. Lorsqu’on emprunte le portail de la Place des Nations pour pénétrer en territoire international, on est accueilli par une pancarte rédigée en deux langues, les langues du Secrétariat de l’ONU : « Please show I.D. / Présenter (sic) votre badge ». On trouve à l’entrée du Palais des Nations, porte 2, un plan, rédigé dans les deux langues ; dans le hall de la presse, le microphone du Service de l’information porte l’étiquette  Nations Unies/United Nations ; le panneau d’affichage électronique des réunions déploie aussi un semi-bilinguisme anglais (surtout) et français. On entend dans les couloirs différentes langues, les publicités pour les publications des Nations Unies sont également rédigées dans plusieurs langues. La situation est certes loin d’être idyllique dans le travail quotidien de l’Office des Nations Unies à Genève mais les apparences sont sauves. Certaines marques du bilinguisme sont certes le vestige d’un respect naguère plus rigoureux des statuts mais d’autres sont récentes. Le Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève qui a pris ses fonctions en 2002 est russophone et anglophone ; il apprend le français de 8h à 9h tous les matins et s’est adressé au personnel en anglais mais aussi en français à l’occasion de la journée du personnel de novembre 2002. Les instances de représentation du personnel sont sensibles à la question des langues, rédigent leurs circulaires en anglais et en français et la revue du personnel, UN Special, continue de publier des articles dans les deux langues de travail (le numéro de janvier 2003, par exemple, contient 8 articles en français et 11 en anglais).

 

Ces preuves de la sensibilité des fonctionnaires de l’ONUG au maintien de l’équilibre des langues de travail ne doivent certes pas nous cacher l’importance qu’il y a à responsabiliser davantage toutes les parties prenantes pour permettre au bilinguisme du Secrétariat et au plurilinguisme des organisations internationales de s’épanouir. Cette responsabilisation passe par l’information et la concertation.

 

1. L’information       

 

            Elle comporte trois volets principaux : l’information concernant ce qui se fait dans les organisations internationales pour promouvoir le plurilinguisme ; l’information portant sur les efforts consentis par les gouvernements et les institutions chargées de sa défense du plurilinguisme; l’information sur les défenseurs du plurilinguisme en milieu international.

 

L’information sur ce qui se fait dans les organisations internationales pour promouvoir le plurilinguisme ou plutôt le multilinguisme, selon l’expression utilisée dans les documents des Nations Unies. Une étape importante a été franchie cette année avec la rédaction par le Corps commun d’inspection du système des Nations Unies d’un rapport sur la mise en oeuvre du plurilinguisme au sein des organisations du système des Nations Unies d'où je tire en grande partie les propositions ci-dessous.

 

Trois objectifs permettraient de maintenir, voire de renforcer, le plurilinguisme dans les organisations internationales du système des Nations Unies :

 

1. Promouvoir la visibilité des langues dans le travail quotidien des organisations internationales :

i) trouver des moyens de maintenir le plurilinguisme même dans les cas où les budgets ou les délais sembleraient ne pas le permettre : au cas où aucun service d'interprétation ne serait prévu lors d'une réunion informelle d'États membres ou d'experts, prier les participants de bien vouloir présenter à l'avance un résumé de leur intervention qui sera traduit dans toutes les langues de la réunion ; si un document d'un organe législatif ne peut paraître dans toutes les langues dans les délais prescrits, les secrétariats peuvent, à titre exceptionnel, soumettre ce document sous forme abrégée ou sous forme de résumé dans toutes les langues et dans les délais prévus ;

ii) obtenir une image plus exacte du potentiel linguistique des organisations internationales : les Secrétariats devraient fournir un rapport détaillé sur l'emploi des langues en leur sein et être redevables des efforts qu'ils ont consentis pour créer un environnement favorable au traitement paritaire des langues ; ils devraient établir une répartition des postes sur la base des exigences linguistiques qui s'y attachent et inclure ces informations dans les rapports périodiques soumis aux organes directeurs sur la gestion des ressources humaines ou sur la composition du Secrétariat ;

iii) encourager les fonctionnaires des organisations internationales à utiliser davantage les différentes langues qu'ils maîtrisent dans leur travail de tous les jours ;

iv) fixer dans les projets de programmes et budgets des objectifs clairs à atteindre pour renforcer le plurilinguisme (publications, sites sur l'internet dans toutes les langues des organisations internationales) et préciser les moyens pour y parvenir (possibilités de partenariats, sources de financement extra-budgétaires, etc.);

v) mettre à la disposition de tous les bases de données terminologiques et les outils facilitant la  consultation plurilingue de la documentation internationale disponibles au sein des services linguistiques des organisations internationales.

 

2. Renforcer l'efficacité des organisations internationales en matière de respect du plurilinguisme :

i) mieux répondre aux attentes et aux besoins de plurilinguisme de la part des participants aux conférences internationales : les organisateurs de réunions d'experts devraient plus systématiquement tenir compte de la composition linguistique de l'auditoire visé pour accroître l'efficacité des réunions qu'ils mettent sur pied ;

ii) revoir les demandes de documentation plurilingue déposées par les États membres: il serait en effet souhaitable de mieux prendre en compte les ressources allouées à la préparation de cette documentation en plusieurs langues ainsi que les efforts consentis par les Secrétariats pour limiter le volume de la documentation et respecter les délais ;

iii) permettre aux différentes composantes de la société dans chaque État membre de participer aux activités des organisations internationales et de créer des partenariats avec celles-ci : une étude des besoins de toutes les parties prenantes permettrait de mieux évaluer dans quelle mesure les ONG, les médias et la société civile sont satisfaits des services fournis par les organisations internationales dans les différentes langues de ces organisations, et notamment en ce qui concerne les réunions et la diffusion d'informations.      

 

3. Aider les organisations internationales à mieux relever les défis du plurilinguisme :

i) permettre à leur personnel linguistique de participer aux stages de mise à niveau ouverts aux membres de la fonction publique nationale dans les domaines de pointe ;

ii) sensibiliser les universités et autres centres de formation des traducteurs et des interprètes aux besoins spécifiques des services linguistiques des organisations internationales, car ces derniers éprouvent de grandes difficultés à trouver du personnel compétent sur le marché du travail désireux de travailler dans les organisations internationales. Dans ce contexte un membre de l’ACIF relève qu’il faudrait encourager les professions de traduction dans les pays francophones du Sud afin de réduire les coûts de la traduction et traduire plus de documents.

iii) mettre à la disposition des organisations internationales les bases de données terminologiques et documentaires disponibles dans les administrations françaises mais non rendues publiques via l'internet.

 

Le rapport met l’accent sur le rôle des administrations et des donneurs d’ordre (les États membres) dans la défense du multilinguisme dans les organisations internationales, mais chaque fonctionnaire peut à sa lecture prendre conscience de la complexité et de l’interdépendance des questions que soulève le fonctionnement véritablement multilingue de son organisation ainsi que de sa part de responsabilité pour la bonne marche du dispositif.

 

L’information des défenseurs du plurilinguisme passe également par une information sur les efforts consentis en faveur du plurilinguisme à l’extérieur des organisations internationales. La circulaire du Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, en date du 14 février 2003, qui vient de vous être distribuée rappelle aux ministres et aux secrétaires d’État du gouvernement français la nécessité d’affirmer la place du français sur la scène internationale. Voilà qui peut rassurer les observateurs francophones qui considéraient, peut-être à juste titre, que les représentants les plus éminents de la France ne respectent pas le statut de langue officielle et de langue de travail du français dans les organisations internationales. Le doute n’est plus permis sur le sujet. La France ne déserte pas le français. L’Ambassadeur de l’Organisation internationale de la francophonie auprès de l’Office des Nations Unies et des institutions spécialisées à Genève, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir, nous entretiendra par ailleurs des efforts consentis par les pays francophones au maintien de la diversité linguistique dans le monde en général et dans les organisations internationales en particulier (cf. par exemple, le plan d’urgence en faveur du français dans les organisations internationales). 

L’information sur les défenseurs du plurilinguisme en milieu international. Il importe en effet de leur faire savoir qu’ils ne sont pas seuls à défendre la cause du plurilinguisme au sein des organisations internationales. En effet, l’Association des fonctionnaires espagnols défend également la place de la langue espagnole au sein des organisations internationales. Elle a été à l’origine de la prise de conscience qui a permis notamment l’envoi en juillet 2001d’une lettre au Secrétaire général des Nations Unies signée par une vingtaine d’ambassadeurs de pays hispanophones, lui demandant de mettre un terme au déséquilibre linguistique qui sévissait dans son Organisation. Une rencontre avec les responsables de cette Association est prévue avec son président, M. Juan Antonio Rubio, du CERN, pour permettre aux membres de l’ACIF de mieux connaître cette action. L’Association des fonctionnaires internationaux français (AFIF) suit également les questions de l’emploi du français dans les organisations internationales et m’a chargée d’être son porte-parole lors de la réunion du Comité des fonctionnaires internationaux qui s’est réunie à Paris en novembre 2002 et où j’ai pu rencontrer les représentants de la douzaine d’associations de fonctionnaires internationaux français dans le monde et notamment auprès des institutions européennes, tous soucieux du maintien du plurilinguisme au sein des organisations internationales dans lesquelles ils travaillent. C’est à l’occasion de la réunion sur le français du Comité des fonctionnaires internationaux qu’il est possible aux associations de fonctionnaires de relayer leurs préoccupations en matière de langue française. Celle par exemple que nous signale un de nos membres, fonctionnaire au BIT, qui relève que les traducteurs n’ont pas à leur disposition les traductions officielles de mots et expressions aussi courants que « e-government », qui en l’absence d’instructions claires est laissé à l’initiative de chacun. On peut donc trouver « e-gouvernement », ce qui n’est pas jugé heureux, tout comme  « cybergouvernement ».

Plus récemment, en janvier 2003, a été créée au sein du Bureau international du Travail l’Association FRANCOPHONIE-OIT, dont « le but  est de promouvoir le rayonnement de la francophonie au sein de l’Organisation internationale du Travail conformément aux principes suivants :

 a) La promotion de la francophonie est définie, pour la poursuite de l’objectif de l’Association, comme le fait de faciliter la pratique et l’utilisation de la langue française dans les activités professionnelles et sociales conduites dans le cadre de l’OIT et au sein du BIT.

 b) La promotion de la francophonie ne saurait se concevoir au détriment d’autres langues et cultures. L’Association entend donc également contribuer à la diversité culturelle et linguistique qui doit caractériser le fonctionnement des organisations internationales.

 c) La promotion de la francophonie s’intéresse à l’ensemble des moyens et formes de communication, orale et écrite, permettant la conduite d’activités professionnelles et sociales dans le cadre de l’OIT et au sein du BIT, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite, quel que soit le support utilisé pour cette communication. 

 d) La promotion de la francophonie requiert  pour être efficacement mise en œuvre que soient mobilisés les volontés et les moyens matériels ou humains nécessaires. L’Association entend donc intervenir, en tant que de besoin, auprès de celles et ceux pouvant, à titre individuel ou en tant que membre d’un collectif,  aider à mobiliser ces volontés et ces moyens.

 e) La promotion de la francophonie n’est ni un exercice bureaucratique, ni une approche sectaire. L’Association entend donc, à la mesure de ses moyens et dans le cadre de la poursuite de son objectif, organiser ou soutenir des manifestations culturelles, artistiques, sportives, de loisir … de nature à contribuer à faire mieux connaître et apprécier la francophonie au sein de l’OIT et dans le cadre du BIT. » [source : statuts, article 3]

            Monsieur Jean-Victor Gruat du BIT, qui a eu l’amabilité de me faire parvenir ces statuts sera également invité à venir parler aux membres de l’ACIF pour mettre en place des synergies entre nos deux associations.

Enfin il convient de rappeler que l’ACIF a un site qui est accessible à l’adresse suivante : http://sitacif.free.fr et qui contient des informations sur la langue française et les institutions qui défendent sa place dans le monde.

Je remercie notre collègue Denis Bloud de continuer à le mettre à jour.

           

 

2. La concertation

           

Pourquoi la concertation est-elle nécessaire ? Parce qu’il est important de mieux connaître les possibilités qu’offre chaque organisation internationale aux fonctionnaires désireux de travailler dans la langue de travail de leur choix. Une anecdote qui m’a été livrée par la correspondante de l ‘ACIF auprès de l’OMS me semble révélatrice sur ce point : « je me suis présentée à un examen écrit il n'y a pas longtemps pour lequel on demandait l'anglais ou le français et une bonne connaissance de l'autre langue. Le test comportait 7 questions toutes en anglais. J'ai refusé de faire le test (de toutes façons le poste était déjà prévu pour quelqu'un...) et lorsque je l'ai dit pendant l'entretien on m'a répondu que j'aurai pu répondre en français ! Ce n'était mentionné nulle part et en plus le problème n'est pas là puisque je travaille à 90% en anglais. Je rajouterai que dans le comité de sélection il y avait deux personnes francophones... » Cette expérience, chacun de nous a pu la faire à sa manière. Elle met en lumière deux obstacles au plurilinguisme dans les organisations internationales : (1)  l’usage de l’anglais dans le travail quotidien semble aller tellement de soi, que les francophones sont les premiers à s’y laisser prendre ; (2)  l’usage de toutes les langues de travail est toléré mais reste souvent dans le non-dit. Il ne faut donc jamais hésiter à demander que la politique linguistique soit explicite pour ne pas être les premières victimes de cet oubli.

 

La concertation avec les intéressés eux-mêmes : demander l’avis des fonctionnaires eux-mêmes sur ce qu’ils pensent être un moyen d’améliorer la situation concernant l’emploi des langues. La table ronde organisée par le Service de l’information de l’ONUG et l’Organisation internationale de la francophonie au Palais des Nations à l’occasion de la  Journée internationale de la francophonie le 20 mars 2002 sur le thème : « Informer et communiquer sur la toile aux Nations Unies : enjeux linguistiques et culturels » a permis de rappeler aux fonctionnaires qui ne le savaient pas qu’il existe une section de terminologie à l’ONUG qui peut répondre aux questions qu’ils se posent en matière de langue française et des langues officielles en général, une des réactions des intervenants ayant été de faire remarquer que la langue française ne possédait pas les mots qui leur étaient nécessaires dans leur travail, ce qui est absolument faux.

 

En conclusion, plus que jamais l’ACIF garde sa raison d’être. Il nous faut informer les fonctionnaires de leurs droits et les inviter à les exercer aussi souvent que possible. Par exemple, il y a quelques années, l’ACIF a signalé aux membres de la Section de formation et de perfectionnement du personnel l’anomalie qui consistait à n’offrir des cours d’informatique de base ou de gestion qu’en anglais sans informer le personnel de la possibilité qu’il y aurait à organiser ces mêmes cours en français. En février 2003, la plupart des cours généraux offerts par la Section de formation et de perfectionnement du personnel de l’ONUG le sont en anglais et en français (initiation à Windows, par exemple).

 

Il nous faut aussi veiller à ce que les fonctionnaires des organisations internationales puissent travailler dans un environnement de travail véritablement bilingue. L’interface du système de courrier électronique Lotus Notes qui est devenue la norme au CERN et à l’ONUG par exemple existe en français mais les services d’achat de ces organisations n’ont, d’après les informations que nous avons obtenues, acheté que l’interface anglaise. Un francophone qui envoie un courriel en français ne peut donc pas faire l’économie de l’anglais puisque son message comportera les indications automatiquement imposées par son système : sender, to, bcc, priority, subject, etc.. Il s’agit là sans doute d’une anomalie du type de celle que nous avons signalé plus haut et que le simple fait peut-être de publier ce rapport dans le journal des fonctionnaires des organisations concernées permettrait de corriger.

 

Merci de votre attention et de toute l’aide que vous pourrez nous apporter pour permettre de renforcer le plurilinguisme au sein des organisations internationales.